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![]() À partir de 1924, Walt Disney se fait un nom dans le monde de l'animation grâce à plusieurs séries de courts métrages d'animations comme les Alice Comedies ou Oswald le lapin chanceux (Oswald the Lucky Rabbit) mais c'est avec Mickey Mouse, en 1928, et la série Silly Symphonies, en 1929, qu'il marque de son empreinte l'industrie. Walt Disney se consacre complètement à ses deux séries qui rencontrent un grand succès jusqu'en 1934, période où il envisage sérieusement de faire ce fameux long métrage. Walt Disney décide alors d'investir sa fortune personnelle pour monter son projet, mettant en péril l'avenir de son studio. C'est au cours du printemps 1934 qu'il arrête son choix sur ce qui sera son premier long métrage et le premier d'animation hollywoodien, Blanche Neige et les Sept nains.
Peu de temps après, le projet est rendu public et fait couler beaucoup d'encre. Le futur film est alors surnommé la « Folie Disney » par la presse qui pense que Walt Disney a perdu la raison. D'après certains « grands manitous » de Hollywood, les spectateurs ne tiendront pas aussi longtemps devant un dessin animé « sans devenir aveugle » et quitteront la salle avant la salle à cause de tout les gags qui jalonneront le film. Hal Thorne, responsable d'exploitation pour United Artists, distributeur du studio Disney, conseil à Walt Disney de « laisser dire toutes les choses possibles à propos du film tant que l'on parle du film ».
Pour élever le savoir-faire du studio et permettre au long métrage d'atteindre la qualité souhaité par Walt Disney, un programme de formation des animateurs est mis en place. Dans un premier temps, ce sont près de 300 artistes, pour la plupart au chômage à cause de la Grande Dépression et sans expérience de l'animation, qui sont engagés pour compléter les effectifs de la compagnie. Ces nouveaux animateurs sont alors pris en charge par Ben Sharpsteen et David Hand, deux valeurs sûres du studio, puis par Don Graham, un ancien professeur de dessin. Les nouveaux animateurs sont alors mis à contribution sur les Silly Symphonies qui permet de les tester. D'autres cours en interne sont instaurés pour étudier le mouvement et ainsi parfaire l'animation des personnages. Les animateurs observent alors des acteurs filmés en train de danser et bouger.
Pour parfaire le film et pour lui donner une identité propre, beaucoup de couleurs ont été spécialement créées pour Blanche Neige et les Sept nains mais d'un point de vu (encore) technique, ce sont les créations des spécialistes des effets spéciaux qui marquent une nouvelle étape dans l'animation. C'est ainsi que sont mis au point des effets pour simuler parfaitement une pluie d'orage ou un courant d'eau ainsi que la « peinture ombre » pour les ombres projetés par les personnages exposés à diverses sources de lumière (lanternes des nains rentrant de la mine, bougie utilisée par Blanche Neige dans la maison des nains, etc.).
Le scénario de Disney est basé sur l'adaptation théâtrale de Winthrop Ames, jouée à Broadway en 1912, elle-même basée sur Schneevittchen de l'auteur allemand Karl August Goetner. Ces adaptations, pour éviter les temps morts, incluaient la transformation de la Reine en sorcière qui n'est pas développée dans le conte original. Disney mêle aussi des éléments de l'adaptation théâtrale Peter Pan jouée en 1905 à Broadway avec Maud Adams, dont le costume est similaire à celui de Marguerite Clark et de sa Blanche Neige. De Peter Pan, Disney reprend le caractère maternelle de Wendy pour Blanche Neige. D'autres références à des contes sont repris comme la jeune fille en guenilles lavant la maison, emprunté à Cendrillon ou le doux baiser du Prince éveillant la jeune femme endormie dans La Belle au bois dormant. Dès la conception des courts métrage de Mickey Mouse, Walt Disney est convaincu de l'importance d'intégrer à l'histoire la musique et les chansons. Dès les premiers jets du scénario de Blanche Neige et les Sept nains, plusieurs chansons sont déjà prévus dont la célèbre Un jour mon prince viendra. À l'origine où cette chanson intervient, la séquence est constituée d'une scène de rêve mais Walt Disney décide de la supprimer. Il considère que la réaction des nains à l'écoute du souhait de Blanche Neige est plus importante que la visualisation du fantasme de la Princesse. Au final, c'est pas moins de vingt-cinq chansons qui sont écrites pour le film avant que Walt Disney ne choisisse les 8 de la version finale.
Pour assurer le réalisme, des modèles de personnages et des décors sont fabriqués en trois dimensions. Chaque détail est ainsi pris en compte. Avec Blanche Neige et les Sept nains, le travail des animateurs évolue par rapport à ce qu'ils ont l'habitude de faire. Les dessins animés précédents sont très burlesques et agressifs, et il faut maintenant concevoir une animation basée sur un comportement plus sensible et subtil. Blanche Neige et les Sept nains doit son aspect graphique principalement à l'Europe. Cette identité s'explique simplement par le fait que Walt Disney, qui est d'origine irlandaise, a dans son équipe des artistes d'origine européenne comme Gustaf Tenggren (suédois), Albert Hurter (suisse) ou encore Ferdinand Horvath (hongrois).
Une fois qu'une scène de l'histoire est approuvée, un artiste crée un dessin au crayon (appelé maquette) qui sert de projet pour la composition de la scène. La maquette est composée de plusieurs couches sur lesquelles sont isolés les différents éléments de la scène (par exemple, sur une couche est représenté une table, et sur une autre un objet censé se trouver sur cette table). Le but de la maquette est de déterminer l'emplacement de l'action et le mouvement de caméra qui sera utilisé. Les maquettes sont ensuite utilisées pour positionner les personnages et servent de modèle pour colorer les arrière-plans définitifs. Pendant que les scénaristes finalisent l'histoire, une autre équipe travaille sur le physique et le comportement des personnages d'après des notes existantes depuis le début de la production : *Blanche Neige doit ressembler à une Janet Gaynor de 14 ans ; *le Prince doit ressembler à un Douglas Fairbanks de 18 ans ; *la Reine doit être un mélange de Lady Macbeth et du Grand méchant loup. Walt Disney choisit ensuite avec précaution les animateurs en charge de l'animation des personnages, souvent conçus par d'autres : la Sorcière de Joe Grant confiée à Norman Fergusson, le Miroir à Wolfgang Reitherman, Blanche Neige à Hamilton Luske et Jack Campbell, le Prince à Grim Natwick, Simplet à Fred Moore ou Grincheux à Bill Tytla. Les acteurs choisis pour interpréter les personnages sont pour la plupart des personnalités de la radio, du théâtre ou du cinéma. Blanche Neige Parmi les nombreuses actrices auditionnées pour la voix de Blanche Neige, Walt Disney choisit Adriana Caselotti, une jeune chanteuse formée à l'opéra. Elle donne une impression de conte de fée surnaturel que recherche Disney pour son personnage principal. Adriana Caselotti se souvient : « Mon père enseignait le chant à Los Angeles et un jour un collaborateur de Walt Disney l'a appelé pour lui demander s'il connaissait une jeune fille pouvant chanter et parler avec une voix enfantine. J'ai entendu la conversation sur un autre téléphone et j'ai dit à mon père que c'était tout moi ! ». Adriana Caselotti enregistre sa partie vocale en quarante-quatre jours, répartis sur les deux années qui suivent son engagement. La Reine
Les nains
Pour interpréter les nains, Disney veut des voix singulières et identifiables immédiatement. Billy Gilbert connu pour sa mimique d'éternuement dont c'est sa spécialité, joue Atchoum. Il aurait appelé Walt Disney pour une audition après avoir lu dans le magazine Variety qu'un des nains portait ce nom. Il éternua une douzaine de fois devant Disney qui lui signifie immédiatement « vous avez le rôle ». La partie la plus difficile de la production, et qui préoccupe le plus Walt Disney, est l'animation des personnages humains. La rotoscopie est utilisée et des acteurs réels sont filmés, et des crayonnés sont calqués sur les images afin d'augmenter le réalisme. Depuis la naissance l'animation, les personnages sont des animaux ou objet anthropomorphes mais très peu sont réellement humains. Walt Disney justifie l'animation des animaux ainsi : « Il est facile d'animer des animaux. Le public n'est pas habitué avec les points de détail de leurs mouvements, ainsi un semblant de mouvement animal peut être convaincant ». Pour les humains, chaque élément, chaque geste, chaque détail est ancré dans le subconscient du spectateur et l'absence d'un seul le choquerait. Après des tests comme dans The Goddess of Spring et Carnaval des gâteaux (The Cookie Carnival), ils ont simplement tenté d'être le plus vraisemblable possible. Car il ne semblait pas possible de faire accepter au public des expressions ou des mouvements déformés, presque caricaturaux, comme ceux utilisés pour les nains. Les prises de vue réelles avec des acteurs n'ont alors servi que de guide. Le Prince n'apparaît que dans deux courtes scènes, au début et à la fin du film, car il avait un aspect « insupportablement coincé » et non satisfaisant pour lui donner une plus grande importance dans le film. Toutes les étapes de la production ont tenté d'améliorer le naturel de ces personnages. Ainsi, alors que Walt Disney trouve que le visage de Blanche Neige manque de relief, les artistes du département encre et peinture suggèrent d'ajouter une teinte de rouge sur les pommettes de Blanche Neige, du far à joues, délicatement déposée par frottement sur les cellulos ainsi qu'un coup de pinceau sec (pour enlever la peinture) sur les bords de la chevelure noire afin d'adoucir le contraste avec la couleur crème choisie pour la peau. Mais Disney reste perplexe devant cette surcharge de travail et accepte finalement quand les employées lui ont affirmé déjà le faire chaque matin. Le graphisme des nains est aussi un défi mais d'une autre nature. Ils sont sept et, à la différence du conte d'origine, chacun doit avoir sa propre personnalité. La première étape est le choix des noms puis d'établir les détails de leur personnalité. Un des principaux souhaits semble être leur côté « mignon » mais aussi leur posture : « La posture était aussi un facteur important de la personnalité des nains. Prof se tient en arrière avec les mains dans le dos dès que possible, ce qui lui donne son air pompeux. Le dos de Timide est un peu voûté et son ventre sorti. Il se tient souvent sur un pied et roule l'autre pied autour de sa cheville... Grincheux a une bosse sur les épaules et une démarche qui lui donne des airs de pugiliste ». Les Clark a en charge d'animer la scène où trois nains dansent avec Blanche Neige. La difficulté est « de rendre la dimension de la pièce et des tailles des personnages au travers de leurs mouvements ». Pour Blanche Neige qui rapetisse ou grandit selon son éloignement de la caméra, Clark s'aide vraisemblablement des prises de vues réelles avec Marge Champion, mais il doit improviser pour les nains. Toutefois, la représentation de la Reine/Sorcière semble « être l'un des personnages antipathiques les plus réussis et les plus populaires ». Parmi les personnages féminins de Disney, la Reine/Sorcière est la seule mêlant la femme fatale, la sorcière comme Maléfique dans La Belle au bois dormant (Sleeping Beauty), la marâtre comme Lady Tremaine dans Cendrillon (Cinderella). Il ne lui manque plus que l'outrance de Cruella d'Enfer dans Les 101 Dalmatiens (One Hundred and One Dalmatians). En décembre 1936, Walt Disney indique à ses animateurs qu'il vient de visionner un court métrage sur le printemps du Harman-Ising Studio mais qu'il « trouve une certaine profusion de la couleur et que cela donne un aspect pauvre car sans aucune subtilité ». Il leur demande « de parvenir à une certaine profondeur et à un certain réalisme ». Disney décide donc de ne pas utiliser la gamme habituelle et réduite de couleurs brillantes des courts métrages. Il utilise un panel plus large dans la plupart des séquences, ce qui donne un aspect plus réaliste et profond. Des éléments ont subi des traitements plus poussés que ceux des courts métrages. Ainsi, sur les bords des objets ou des personnages, des ombres ont été apposées par aérographe. John Grant ajoute aussi de nouvelles couleurs spécialement « développées à un coût considérable » pour donner une texture à certains objets comme les vêtements. Ce sont des mélanges de peinture utilisés pour accentuer le volume (on parlerait de nos jours de peintures à effets de dégradés). Les premières couleurs utilisées pour la robe de Blanche Neige sont différentes de celles de la version finale. En fonction du rendu à l'écran avec le procédé Technicolor, ces couleurs évoluent sans arrêt pour aboutir au résultat que l'on connaît. Les mêmes essais de couleurs sont faits pour les nains et seul Prof conserve finalement ses couleurs d'origine. À quatre mois de la sortie du film, le choix des couleurs des costumes des personnages n'est toujours pas définitif et fait l'objet de nombreux tests.
La production a nécessité plus de 750 artistes dont des sous-traitants, anciens animateurs de Disney. L'effectif du studio s'est accru de plus de mille personnes. En 1937, Walt Disney demande même au Harman-Ising Studio, créé par Hugh Harman et Rudolf Ising (animateurs ayant travaillé pour lui avant 1928, et alors en difficulté financière), de prendre en charge la production des Bébés de l'océan (Merbabies) et d'aider à celle de Blanche Neige et les Sept nains. Durant les six derniers mois de production, les animateurs travaillent le week-end et dorment parfois au pied de leurs planches à dessin. Le budget du film initialement prévu en 1934 était de 250 000 $ avec un Disney « espérant un maximum de 500 000 ». Mais au final, il s'approche des 1,5 million de dollars. Le coût de production estimé est de 200 $ le pied de pellicule, à comparer aux 50-75 $ pour les courts métrages (et 3 cents par le premier studio de Walt Disney, Laugh-O-Grams). Afin de trouver des fonds pour terminer le film, Disney présente un extrait non finalisé aux responsables financiers de la Bank of America. Cet extrait comporte des séquences en couleur, d'autres encore de simples esquisses, une sonorisation incomplète que Disney comble en direct. C'est sous la pression des banquiers que Walt Disney s'engage à sortir le film avant Noël 1937. Autre élément lié à la nécessité de trouver des fonds, Walt Disney abandonne les droits de publication des musiques de Blanche Neige et les Sept nains à l'éditeur Bourne Music Company qui les détient encore de nos jours ainsi que les prochains droits musicaux sur Pinocchio et Dumbo. Le 7 juillet 1937, une projection de la copie de travail est effectuée au studio durant laquelle le personnel est soumis à un questionnaire. Le lendemain Walt Disney reçoit un mémo de l'un de ses employés qui dit : « l'accueil du film par le public endurci du studio a été enthousiaste, pour donner une petite idée de ce qui se produira dans les cinémas ». Au même moment, Bill Garity filme les différents départements du studio en train de travailler, des images que la RKO Pictures utilise pour illustrer le processus de fabrication de Blanche Neige et pour faire la promotion du film. Dans les deniers mois, c'est Disney lui-même qui se charge du montage du film, effectuant ainsi les coupes qui lui semblent nécessaires. Le film terminé est présenté pour sa première au Carthay Circle Theater de Hollywood le 21 décembre 1937, où toutes les personnalités hollywoodiennes se retrouvent. La projection est un triomphe avec un public conquis et ému par ce qu'il a vu. À la fin de la représentation, le public fait à Blanche Neige et les Sept nains une standing ovation, mais c'est sans compter sur les 30 000 badauds attroupés devant le cinéma déjà complet. C'est le plus important succès du cinéma jusqu'à la sortie de Autant en emporte le vent (Gone with the Wind) en 1939. L'exploitation en salles aux États-Unis et au Canada engendre à elle seule, à la fin de l'année 1938, 4,2 millions de dollars et 8 millions au final. Le film rapporte en première semaine 108 000 et 110 000 $ durant la seconde. Il faut aussi prendre conscience qu'en 1938 les spectateurs mineurs ne paient leur place que 10 cents et les adultes 33. Sources: Mise en ligne : 14 avril 2009 |